Le temps m'a manqué...il me manque encore... il me manque toujours...
Les petits plaisirs sont là pourtant, chaque jours, fidèles à ceux qui les espèrent.
Pour patienter, je vous offre une histoire;
Elle avait toujours été là.
Aussi loin que
remontaient ses souvenirs, ceux de son
père et ceux de son père avant lui, elle avait toujours été là.
Immense et grise, immobile, brisant la ligne d’horizon de
son dos arrondi et brillant.
Les étrangers s’imaginaient qu’il ne s’agissait que d’un simple rocher, une pierre à l’éclat
surnaturel et à l’aspect étrangement lisse mais…
Lui savait, l’enfant savait sans que personne jamais ne
lui ai dit, apprit avec des mots. Elle
n’était pas faite de roches et de pierres, mais de chaire et de sang. Elle
était seule là, comme suspendue au milieu de l’océan, accrochée à l’extrémité des
ses cils.
Les villageois la craignaient, ce que l’Homme ne peut pas comprendre parait
toujours effrayant.
Les pêcheurs ne s’en approchaient jamais, et les habitants
avaient déserté cette partie de l’île où
sa vue ne pouvait échapper à leur regard.
Ce que l’Homme ne peut pas comprendre, il s’arrange
toujours pour le tenir à distance.
Mais l’enfant n’avait pas peur. A sa naissance il avait
reçu le don de la curiosité et celui de la solitude.
Sa mère était morte.
Sa mère venait de mourir, de pousser son dernier souffle
dans sa chambre d’hôpital.
Elle n’était plus.
Et lui assit là au bout de la terre, au bout de ses
larmes, regardait cette masse sombre dans le soleil couchant.
Et c’était bon.
Tout son monde s’écroulait, englouti dans la peine, le
chagrin et cet effroyable sentiment d’injustice, tout s’écroulait,
s’assombrissait. Toutes ses certitudes devenaient aussi friables
que de la terre asséchée par un soleil implacable, tout…sauf Elle.
Petit déjà, Elle le fascinait, il l’avait rencontré un
matin, où le cœur écrasé de chagrin il avait fuit sa maison, les disputes, les cris…
Personne ne s’était aperçut de son départ, personne
n’était venu le chercher, personne ne
l’avait retenu pour apaiser sa détresse, personne mis à part cette immensité
bleue qui l’empêchait de s’échapper plus
avant et …la Baleine.
Il s’était installé tout au bord de l’eau, le nez au vent
se livrant tout entier au baiser humide
que l’océan faisait à la grève, tant et tant de fois renouvelé.
Il s’était abandonné à cette caresse qui ne lui était pas
destinée, et cette douceur marine qui en
épousant les contours de son corps lui
avait appris que sur cette plage, il avait sa place.
Et le goût du sel sur ses lèvres devenait infini…
Il avait passé beaucoup de temps là, dans cet espace de
sable, d’eau et de silence.
Il avait passé beaucoup de temps à la regarder sous le
vent, à en admirer la beauté, l’immobilité et le mystère.
Il lui avait offert tous ses plus beaux silences,
quelques unes de ses larmes et tous ses éclats de rires…
Aujourd’hui il
lui avait apporté dans son cœur
meurtri toute la détresse d’une perte
irréparable.
Il lui avait apporté son enfance, amputé de l’amour et de
la présence de sa mère.
Il se leva, s’approcha de l’eau, s’approcha de l’animal,
de ce qui depuis tant d’année dans sa vie, n’avait pas bougé.
Un pied devant l’autre
Un pied sur le sable
Un pied dans l’écume des vagues
Un pied dans l’eau glacé, puis un autre et encore un
autre…
L’eau montait, le long de ses mollets ronds d’enfant,
emprisonnant ses genoux de sa main glacé, glissant sur ses cuisses, toujours
plus haut.
Un pied devant l’autre jusqu'à ce que tout son corps
bascule et que ses bras d’enfant ne
l’entrainent vers l’avant.
Il s’était mit à nager.
Son esprit submergé
par le chagrin avait fait silence
soudain et son corps s’était mit à parler à sa place…
Son bras droit projeté vers l’avant, puis le gauche accompagnés par les battements réguliers de
ses jambes ; il avançait comme les aiguilles d’une horloge avec une
détermination et une régularité sans faille.
Il voulait échapper à tout ce qui ici, sur cette île sur
cette plage, dans cette vie, lui déchirait les entrailles, l’empêchait de
respirer.
Echapper à ce
couteau imaginaire qui lui lacerait le cœur sans discontinuer depuis son départ
de l’hôpital, échapper au manque d’elle ,à ses bras qui ne le seraient plus, à
ses baisers humides sur ses joues et sur son front le soir avant de s’endormir,
à son regard qui ne l’accompagnerait plus jamais jusqu’au bout du chemin, à
tous ces matins où elle ne serait plus là.
Il nagea longtemps, il nagea fort, il nagea loin, il
nagea jusqu'à la Baleine.
C’est la chaleur du contact de sa peau grise et luisante
qui l’arrêta.
C’est l’étrange et surprenante chaleur de l’animal qui le
rendit à lui-même.
Il colla son corps contre le sien, son visage noyé à la surface de l’eau dans le gris de sa
peau.
Imperceptiblement, l’animal s’inclina basculant sur le
côté, offrant son flan à l’enfant comme un rivage improbable. Il s’y abandonna…
Ce sont les cris qui le réveillèrent, son prénom hurlé, porté par la voix de son père.
Il senti ensuite la caresse du soleil sur sa peau, la
douceur iodée du vent, le crissement du sable sous sont corps lourd qu’il tentait
de mettre en mouvement.
Ses vêtements avaient séchés, ils étaient rêches, fripés
et ils griffaient sa peau.
En ouvrant les yeux, il fut ébloui par l’intensité de
l’éclat du soleil qui se réverbérait sur l’océan, faisant naître des milliers
d’étoiles miroitantes à la surface de l’eau.
Une eau qu’aucune masse
sombre et grise ne venait plus briser.
La Baleine avait disparue.
Il s’assit brutalement sur le sable, le regard collé à
l’horizon alors que son père et les villageois partis à sa recherche le
rejoignaient.
Tous regardaient l’absence, une masse agglutinée de corps
sur la plage, autour de l’enfant et un unique regard porté sur le vide laissé par
la Baleine.
Elle était partie.
Elle avait accueilli l’enfant sur son flan, elle avait absorbé ses larmes, son chagrin
immense et lourd, elle avait englouti
ses peurs les plus profondes sous sa peau et tout en le ramenant
délicatement sur le rivage avec sa queue, elle lui avait rendu un peu de son
enfance perdue, de ses rêves et de sa foi en la vie.
Et elle était partie.
Avant que quiconque ne pu prononcer un mot, indifférente
à la surprise des adultes et tout au soulagement de retrouver celui qu’elle
aimait, une petite demoiselle blonde se jeta sur le sable à côté de l’enfant
resté muet.
-Tes yeux ne sont plus bleus !!!
Ils sont gris à
présent, gris couleur baleine…
Ils se saisirent la main dans un même mouvement spontanée
et tendre, et il lui sourit…